lundi 3 novembre 2014

Conte : Le temps ...


En stage pour ma formation en médiation, j'ai rencontré des personnes entières, prêtes à donner un peu d'elle-même pour nous aider dans notre chemin de futur médiateur ... mais aussi sur notre chemin de vie - notre manière d'appréhender les choses et le monde qui nous entoure. C'est donc tout naturellement que moi aussi, j'ai envie de vous partager cette histoire que Célia nous a contée à Aurélie et à moi... Ce moment, en toute intimité, reste gravé - un moment vécu intensément.






C’est l'histoire d’un homme que je définirais comme un chercheur…

Un chercheur est quelqu’un qui cherche,
pas forcément quelqu’un qui trouve.
Ce n’est pas non plus quelqu’un
qui nécessairement, sait ce qu’il cherche.
C’est simplement quelqu’un dont la vie est une quête.

Un jour, ce chercheur eut le sentiment
qu’il devait se rendre à la ville de Kammir.
Il avait appris à tenir rigoureusement compte de ces sensations
qui venaient d’un endroit inconnu de lui-même.
Aussi, il quitta tout et partit.

Au bout de deux jours de marche sur les chemins poudreux,
il aperçut au loin Kammir.

Un peu avant d’arriver à la ville,
une colline à droite du sentier attira vivement son attention.
Merveilleusement verte, elle était couverte d’arbres,
de fleurs, d’oiseaux enchanteurs,
et entièrement entourée d’une sorte de petite palissade en bois verni.

Un portillon en bronze l’invitait à entrer.
Il eut tout à coup l’impression d’oublier la ville
et succomba à la tentation de se reposer un moment en ce lieu.
Le chercheur franchit le portillon
et avança lentement entre les pierres blanches,
qui semblaient éparpillées un peu au hasard, entre les arbres.

Il laissa ses yeux se poser comme des papillons
sur chaque détail de ce paradis multicolore.
Ses yeux étaient ceux d’un chercheur
et sans doute pour cette raison,
il découvrit cette inscription sur l’une des pierres :

Abdul Tareg, vécut 8 ans,
6 mois 2 semaines et 3 jours

Il eut un léger sursaut en prenant conscience
que cette pierre n’était pas une pierre ordinaire :
il s’agissait d’une pierre tombale.
Il éprouva une peine immense à la pensée
qu’un si jeune enfant était enterré là.

Regardant autour de lui, l’homme se rendit compte
que la pierre d’à côté portait également une inscription.
Il s’approcha pour la lire :

Yamir Kalib, vécut 5 ans,
8 mois et 3 semaines

Le chercheur se sentit envahi d’une terrible émotion.
Cet endroit merveilleux était un cimetière,
et chacune des pierres, une tombe.

Une à une, il entreprit de lire les pierres tombales.
Toutes portaient des inscriptions semblables :
un nom et la durée de vie exacte du défunt.
Mais ce qui le plongea dans l’épouvante,
ce fut de constater que celui qui avait vécu le plus longtemps
avait à peine plus de onze ans…

Accablé par un effroyable chagrin,
il s’assit et se mit à pleurer.

Passant par là, le gardien du cimetière approcha.
Il le regarda un moment en silence,
puis lui demanda s’il pleurait un membre de sa famille.

« Non, aucun parent, dit le chercheur.
Que se passe-t-il avec cette population ?
Quelle chose si terrible y a-t-il dans cette ville ?
Pourquoi tant d’enfants défunts enterrés en ce lieu ?
Quelle est l’horrible malédiction qui pèse sur ces gens
et les a obligés à construire un cimetière d’enfants ?!!! »




Le vieil homme sourit et dit :
« Calmez-vous. Il n’y a aucune malédiction.
Ce qui se passe, c’est que nous avons ici une vieille coutume.
Je vais vous raconter…
« Lorsqu’un adolescent entre en sa quinzième année,
ses parents lui font présent d’un carnet
comme celui que j’ai ici, pendu à mon cou.

Il est de tradition chez nous, à partir de ce moment,
que chaque fois qu’on jouit intensément de quelque chose,
on ouvre le carnet et on note dedans :

à gauche, ce qui a donné la joie…
à droite, combien de temps a duré cette joie.

« Il a rencontré sa fiancée, il en est tombé amoureux.
Combien de temps a duré cette immense passion
et le plaisir de la connaître ?
Une semaine, deux, trois semaines et demie ?…

« Et ensuite… l’émotion du premier baiser,
le merveilleux plaisir du premier baiser,
combien de temps a-t-il duré ?
La minute et demie du baiser, deux jours, une semaine ?

« Et la grossesse de sa femme, la naissance de son premier enfant ?
« Et le mariage de ses amis ?
« Et les retrouvailles avec le frère rentré d’un pays lointain ?
« Combien de temps a duré la joie donnée par ces situations ?
« Des heures, des jours ?…

« Ainsi notons-nous peu à peu, dans ce carnet
chaque moment dont nous jouissons…
chaque moment.

« Lorsque quelqu’un meurt, nous avons coutume d’ouvrir son carnetet de faire la somme des moments de joie pour l’inscrire sur sa tombe.Parce que, pour nous, ce temps est le seul et véritable temps VÉCU."


[Jorge Bucay]

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1 commentaire:

  1. Magnifique... Hélas à notre époque on vit de moins en moins longtemps paradoxalement...

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