vendredi 4 septembre 2015

L'oubli de notre faiblesse


Pas de photo pour cet article, mais une illustration - car la photo me choque. Je ne saurais plus la regarder. Je ne veux plus la voir. Cela fait des jours et des semaines que des migrants meurent à nos portes, en espérant un avenir, en croyant à un espoir. Des enfants meurent. Ils n'ont rien demandé. Ils ne comprennent pas ce qu'il se passe, ce qu'ils fuient, ce qu'ils trouveront en arrivant dans nos pays occidentaux. 

J'ai des relations professionnelles avec un centre pour immigrés - je rencontre régulièrement ces personnes, qui ont quitté leur famille, leur terre, leur histoire pour un avenir, pour Vivre. Ils sont abîmés par les événements vécus mais tellement riche de leur expérience, de leur culture. Reconnaissants. Accueillants. Ils racontent les horreurs qu'ils ont traversé, ils parlent de sentiments de tristesse, de colère, mais aussi d'espoir en notre pays, en la démocratie, en Nous.





L'oubli de notre Faiblesse


« Naître quelque part est toujours un hasard » dit la chanson de Maxime Le Forestier. 
Les migrants qui fuient leur pays d’origine sombré dans le chaos, en cherchant sur terre un lieu pour vivre, travailler et aimer, nous rappellent la fragilité de notre naissance. Ils interrogent notre identité. Ils nous disent : « ce pourrait-être toi à ma place ». Ce que tant de gens ne veulent pas entendre…
Depuis hier, une photographie bouleverse pourtant les cœurs du monde entier, celle du petit Aylan Kurdi, trois ans, dont le cadavre a échoué sur la plage de Bodrum. Tendre, frais, mignon, il incarne l’enfant qu’on veut protéger, prendre dans ses bras, conduire à son avenir. Hélas, il n’aura d’avenir que sa tombe, sur laquelle ni sa mère ni son frère ne le pleureront car ils ont aussi péri durant le naufrage. Seul le père a survécu, inconsolable, dévoré à jamais par la tragédie de son impuissance. 
Je ne suis pas choqué que cette image ait circulé – quoiqu’il y ait là transgression de la règle voulant qu’on ne montre pas les cadavres. Ce qui me choque, ce sont bien plutôt les évènements à l’origine du drame, la violence qui sévit au Moyen Orient, les vols, les viols et les massacres qui poussent des familles à embarquer sur une coquille de noix. Quand les Etats de droit réagiront-ils ? 
L’image d’Aylan incite également les nations à réfléchir à l’hospitalité, cette vertu ancienne qui fut pratiquée par nos ancêtres durant des siècles. Autrefois, on se faisait un devoir d’accueillir le voyageur, le fuyard, le banni. Non, il ne s’agissait pas de pure bonté, plutôt de solidarité, c’est-à-dire d’intérêt bien compris : personne n’était sot au point de croire qu’il vivait dans un monde suffisamment solide, juste, stable, pour maintenir la paix et l’équité. Inquiets, nos ancêtres se doutaient qu’un jour ils prendraient peut-être la place de l’homme précaire… Ils prenaient donc soin de celui-ci en comptant que lui et son semblable prendraient plus tard soin d’eux.
Avons-nous perdu la mémoire ? Sommes-nous à ce point ignorants de l’Histoire ? Où avons-nous puisé l’illusion que nous vivons dans un monde solide comme un roc ? Où avons puisé l’illusion que nous échapperons toujours aux massacres, aux tueries, à l’arbitraire, à la force barbare ? 
Cette illusion nous rend égoïstes, suspicieux envers celui qui vient d’ailleurs – il nous dérange au lieu de nous mobiliser ! Cette illusion entame notre humanité.
Restons lucides.
Ce n’est que dans le sentiment de notre fragilité que nous trouverons la force de tendre la main à celui qui est encore plus fragile.

[Eric Emmanuel Schmitt]
Rendez-vous sur Hellocoton !

1 commentaire:

  1. C'est peut-être justement parce que les gens ont peur de cette fragilité qu'ils sentent dans nos sociétés qu'ils font tout pour se protéger quitte à en devenir égocentriques à l'extrême?

    RépondreSupprimer